C’est quoi être une femme ?

Photo par Clarke Sanders via Unsplash

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Quand j’étais à Sainte-Lucie il y a 3 ans, quelques collègues et moi-même étions en train de discuter des dernières allégations contre un homme supposé d’avoir eu une relation intime avec une mineure.

Pendant qu’une collègue a presque défendu son comportement en déclarant : «  On sait déjà qu’il aime bien les jeunes filles. »

« Est-ce que ça veut dire qu’il a déjà fait ça ? » je suis intervenue.

« Oui, il est toujours dans une relation avec une jeune fille », elle a ajouté avec nonchalance, comme si ce nouveau détail pourrait justifier son comportement de prédateur sexuel. Comme si ce n’était pas logique d’en parler comme il a pu le faire en toute impunité depuis des années.

Donc, pourquoi il faut qu’on en parle maintenant ? Sa dernière victime est simplement l'une des nombreuses, et vu son niveau social à lui (assez élevé), elle ne sera pas la dernière.

Naturellement, j’avais envie de vomir et hurler. Cependant, quelque chose d’autre m’est venue à l’esprit : « Pourquoi on ne l’appelle pas un pédophile ? Elle est mineure et il est majeur. Pourquoi on ne l’appelle pas un pédophile ? Il est évident que c’est elle la victime. »

A cette question, une autre collègue a répondu : « Ben, tout le monde sait que c’est une fille facile. Même sa propre famille l’a déjà confirmé. Cette dernière a dit qu’elle avait déjà mis sa fille en garde contre ce type de comportement. »

Peut-être, êtes-vous confus(e) et choqué(e) de lire cela, mais c’est la rhétorique perpétuée chez nous. C’est comme ça qu’on traite nos femmes et jeunes filles qui sont victimes du traitement abusif des garçons et des hommes en qui elles ont eu confiance.

Récemment, le corps d’une jeune Saint-Lucienne a été découvert sur une plage publique. Voulez-vous savoir comment ceux qui l’ont trouvé ont décide de la commémorer ?

Ils ont décidé de prendre des photos de son corps sans vie et de les partager sur les réseaux sociaux. Au cas où vous ne savez pas pourquoi ce comportement est répréhensible, imaginez si vous tombez sur la photo du corps nu, torturé et sans vie d'un être cher sur votre fil de médias sociaux avant que la police ne vous informe de sa mort.

Un souci caribéen

Il y a quelques semaines, une Trinidadienne de 23 ans, Andrea Bharat, a été kidnappée en rentrant du travail. Son corps ainsi que la dépouille d’autres inconnus ont été découverts à l’endroit surnommé « le fourretout » par des riverains (Stabroek News, 2021).

Sans surprise, le principal suspect était déjà bien connu des policiers en raison d’un casier judiciaire long comme le bras (allant de 2004 à 2020) et du fait de nombreuses rumeurs qui planaient sur lui : les agressions, les viols et les disparitions de plusieurs femmes locales au fil des années (ibid.).

Voilà à quoi ressemble la vie (et la mort) pour tant de nos femmes et filles. Et voulez-vous savoir quel est le pire ? Beaucoup de leurs agresseurs et / ou meurtriers ne verront jamais les tribunaux et encore moins recevront une peine de prison (substantielle) en raison du système de justice extrêmement défectueux dans de nombreux états dans les Caraïbes.

De plus, il n’est pas rare que les hommes et les femmes défendent ouvertement ces actes sur les réseaux sociaux — en criant partout qu'elle le méritait ou qu'elle mentait étant donné qu'elle était soit « vierge » soit «connue pour enchaîner les relations ». Il n’y a pas de juste milieu.

Je ne peux pas vous dire le nombre de fois où j'ai dû arrêter de suivre des comptes de médias sociaux centrés sur les Caraïbes en raison de la vision problématique des auteurs sur la violence sexiste et les discours de haine fréquents envers les femmes, les personnes transgenres et d’autres membres de la communauté LGBTQ +.

Ironiquement, beaucoup de ces mêmes pages n’hésiteront pas à publier sur la façon dont Shenseea et Nessa Preppy « sont la femme » — même si elles chantent toutes les deux explicitement sur leurs prouesses sexuelles — tout en implorant ouvertement les femmes d'arrêter de jouer au carnaval. Pourtant, il sera prompt à critiquer, blâmer et diffamer toute femme qui a été agressée sexuellement, violée et / ou assassinée lors dudit événement.

Ce récit a été si normalisé que même d'autres femmes se joignent à la honte de la salope, faisant écho à des sentiments tels que : « Qu'est-ce qu'elle faisait là-bas? » et « À quoi s’attendait-elle? » Comme si toute femme qui choisissait d’aller au carnaval, au club ou à une fête — quelque chose que nous avons presque tous et toutes fait — devrait s’attendre à être violée et / ou tuée.

Malgré ce que les médias vous disent, toutes sortes de femmes sont susceptibles d’être violées et / ou tuées, même des personnalités importantes et connues comme l’avocate de ma promotion, Nordraka Williams-Burnett, qui a été poignardée à mort par son mari dans leur maison familiale en décembre 2018.

Puisse-t-elle reposer en paix.

Un problème mondial

Au Mexique, selon les données du gouvernement, 987 femmes et filles ont été assassinées au cours des quatre premiers mois de 2020 (Gallón, 2020). L’un des cas les plus horribles est celui d’Ingrid Escamilla, 25 ans, qui a été retrouvée brutalement tuée, le corps écorché et certains de ses organes manquants (ibid.).

Le pire dans cette histoire, c’est que plusieurs médias ont pris la décision de publier une photo de son corps défiguré à la une de leurs journaux et magazines (Picheta & Gallón, 2020). En d’autres termes, les agences de presse locales ne voyaient aucun problème à objectiver le corps d’une femme tuée car l'argent est bien plus important que le respect de la fin d’une vie humaine.

Nous rappelons à nouveau que le corps d’une femme, aussi torturé et défiguré soit-il, ne sera jamais traité avec respect.

Sérieusement, que faudra-t-il pour que les femmes, en particulier les femmes noires et racisées, soient traitées avec grâce, empathie et respect ?

C'est une question à laquelle je pense souvent surtout après avoir regardé la série semi-autobiographique de Michaela Coel, « I May Destroy You », dans laquelle elle partage courageusement les détails de son viol, tout en explorant les nuances de l’exploitation, de la sexualisation et de l'objectivation des femmes, filles et membres de la communauté LGBTQ + racisé.e.s, par la société.

À travers son récit brut et honnête, Coel nous oblige à voir que la seule façon de vraiment mettre fin aux mauvais traitements, à l’objectivation, au viol et aux meurtres de toutes les femmes est de contester continuellement les systèmes qui ont été créés pour nous supprimer, même si cela signifie que nous devons constamment mener une bataille interne pour déchiffrer ce qui est réellement vrai ou faux.

Certes, c’est en menant un combat dans cette bataille interne sans fin, que l’on apprend ce qu’est la vie d’une femme.

Sources

Gallón, N. (2020, July 16). Women are being killed in Mexico at record rates, but the president says most emergency calls are 'false'. Retrieved February 15, 2021, from https://edition.cnn.com/2020/06/05/americas/mexico-femicide-coronavirus-lopez-obrador-intl/index.html

Picheta, R., & Gallón, N. (2020, February 14). Newspaper publishes photos of brutally murdered WOMAN, sparking outrage in Mexico. Retrieved February 15, 2021, from https://edition.cnn.com/2020/02/13/americas/ingrid-escamilla-mexico-murder-case-scli-intl/index.html

Stabroek News. (2021, February 06). Suspect in murder of Trinidad Girl linked to sex crimes. Retrieved February 15, 2021, from https://www.stabroeknews.com/2021/02/06/news/regional/trinidad/suspect-in-murder-of-trinidad-girl-linked-to-sex-crimes/

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